L’ego. Ce petit mot de trois lettres prend souvent beaucoup de place dans l’existence des dirigeants et des managers et leur joue bien des tours. Ces dernières semaines, je suis sans cesse confronté à des textes, à des chants ou à des personnes qui me parlent d’humilité. Plus je considère cette vertu, plus j’y vois comme l’antidote de l’ego, le terreau des grands leaders, non pas ceux qui se regardent le nombril, mais ceux qui guident vers de nouveaux horizons.
Quand je pense à l’humilité, il me vient immédiatement le souvenir de mon père. Alors qu’il vivait ses dernières heures, après un dernier combat contre un cancer qui rongeait ses poumons, dans un état de semi conscience, il prononça une série de phrases plus belles les unes que les autres, comme le résultat d’une longue maturation, d’années de méditation, le fruit d’une vie.
Dans ces phrases deux mots revenaient sans cesse : amour et humilité. L’impression que j’ai eu en les découvrant est qu’il s’était battu toute sa vie pour aimer toujours plus et pour apprivoiser l’humilité et que c’était l’humilité qui lui avait donné le plus de fil à retordre. Pourtant, je ne crois pas qu’aucun de ses proches ou de ses amis n’aient vu en lui un homme orgueilleux ou à l’ego démesuré, loin de là. Ce que je découvrais alors est que cette attitude humble n’était peut-être pas naturelle chez lui, mais avait été un long chemin, le fruit d’un travail continu sur lui-même.
Dans cet article je vous propose de m’accompagner dans la découverte et l’accueil de cet héritage.
Ego
Du pronom personnel latin « ego » : moi, je.
Voici la définition qu’en donne Wikipédia : « L’ego désigne généralement la représentation et la conscience que l’on a de soi-même. Il est tantôt considéré comme le fondement de la personnalité (notamment en psychologie) ou comme une entrave à notre développement personnel (notamment en spiritualité) ».
Se battre contre son ego serait donc lutter contre soi-même. Voilà une perspective qui ne m’attire pas. Dans toute lutte comme dans les guerres, il y beaucoup de souffrances et de dégâts, toujours au moins un perdant et parfois aucun gagnant.
L’autre jour j’écoutais un exposé où le conférencier (j’aurais dû noter son nom, toutes mes excuses) proposait de ne pas lutter contre son ego, mais de le mettre au service de quelque chose de plus grand que soi.
Personnellement j’aime beaucoup cette idée du chemin qui nous mène de l’ego, de celui que je crois être, vers le soi, vers celui que je suis profondément. Ce voyage de l’ego vers ce « je suis », ne serait-il pas le voyage d’une vie ? Certains ont choisi volontairement de faire ce voyage, pour d’autres, les évènements de la vie leur impose des étapes sur cette route involontaire, d’autres encore donnent l’impression d’ignorer l’appel de ce chemin essentiel.
Qu’en est-il de l’ego des leaders ? En tapant conjointement les mots « Ego et Leadership » sur Google, les titres sont éloquents. Voici les 5 premiers:
- “Don’t Let Your Ego Hijack Your Leadership Effectiveness. ” – www.fastcompany.com
- “ The No. 1 Reason Leaders Fall Short: Ego. ” – www.Forbes.com
- « L’égo des dirigeants nuit à leur leadership. » – www.etapetransition.ch
- « Attention, leaders, ne vous laissez pas emporter par votre ego … » – www.contrepoints.org
- “ How Does Ego Cause Leaders To Self-Destruct. ” – www.leadertoday.org
Les 10 titres suivants sont du même acabit.
Se mettre au centre plutôt que la mission de l’entreprise, se sentir en compétition avec ses propres collaborateurs, abaisser les autres pour mieux s’élever soi-même, vouloir dominer, tout contrôler, rechercher les louanges et la gloriole, placer le statut avant le service, se servir plutôt que de servir, être susceptible et voir partout des offenses à sa propre personne, vouloir avoir raison à tout prix et ne pas admettre ses erreurs… La liste des attitudes des leaders « EGO-istes » dénoncées par ces articles est encore longue.
Un peu plus loin je trouve un titre à contrecourant :
“The Myth of the “No Ego” Leader.” – http://www.huffingtonpost.com
Gregory Stebbins qui écrit cet article pour le Huffington Post n’est pas pour autant un chantre des vertus de l’ego, mais il nuance.
“L’ego n’est ni bon ni mauvais. Ce n’est qu’un véhicule que nous empruntons pour avancer dans la vie.”
Gregory Stebbins
Stebbins compare l’ego à une voiture : certains choisissent de gros bolides, d’autres opteront pour un véhicule blindé, d’autres encore changeront de véhicule en fonction du terrain, de la météo, des circonstances. Chacun utilise son véhicule pour aller où il veut. Le problème serait de vouloir imposer à tout le monde de courir derrière mon véhicule pour suivre aveuglément ma route. Mettre mon ego au service du chemin que je décide de suivre, voilà une approche qui me parle. L’ego devient alors une énergie positive.
“Notre ego est un formidable outil et un maitre pitoyable.”
Gregory Stebbins
L’ego qui m’apparaissait d’abord comme l’opposé de l’humilité, pourrait-il au contraire faire un bon mariage avec cette belle vertu ? Que se passerait-il si je laissais l’humilité éclairer et animer « la représentation et la conscience que j’ai de moi-même » (définition de Wikipédia de l’ego) ?
Humilité
Du latin « humus » : terre.
D’après le Larousse il s’agit d’un « Sentiment, état d’esprit de quelqu’un qui a conscience de ses insuffisances, de ses faiblesses et est porté à rabaisser ses propres mérites. »
Je suis frappé par le parallélisme entre les deux définitions. Dans les deux cas il s’agit d’une conscience, une conscience de moi-même pour l’ego, et une conscience de mes limites pour l’humilité. Quelle force pour le leader de pouvoir associer la conscience de ses forces, de ses atouts et la conscience de ses faiblesses, de ses manques ! Une entreprise qui a à sa tête un dirigeant qui est confiant dans ses forces, y puise l’énergie nécessaire pour franchir tous les obstacles tout en s’entourant de celles et ceux qui viendront combler ses faiblesses, une telle entreprise a tout ce qu’il faut pour cartonner.
L’humilité, c’est le contact avec le réel, le contact avec la terre, garder les pieds bien ancrés au sol, être relié avec celui que je suis vraiment et pas celui que je voudrais être. En ce sens aussi, l’humilité est ce bâton de pèlerin essentiel qui me soutient tout au long du chemin du moi, ego, vers « Je suis ».
Quelles attitudes adopter pour être un dirigeant humble ?
Reconnaitre ses forces et ses faiblesses, mettre en évidence les mérites de ses collaborateurs plutôt que les siens, écouter les autres et accueillir les remarques ou les critiques, être avide d’apprendre, dire merci, chercher ensemble une solution plutôt que de vouloir imposer sa solution, se réjouir des succès des autres, apprendre de mes échecs, se mettre toujours au service de la mission et de ceux qui la servent… voilà les couleurs de l’humilité.
Il ne s’agit pas de se dénigrer soi-même. Je pense au contraire que l’humilité nous mène à un amour de soi plus profond, plus juste, loin des représentations et gesticulations où peuvent nous entrainer les excès de l’ego. Si je suis obligé de me déformer, de laisser mon ego me grossir pour m’aimer, cela signifie que je ne m’aime pas tel que je suis vraiment.
Beaucoup de managers pensent qu’en parlant de leurs faiblesses et de leurs échecs, ils sapent leur leadership. Il n’en est rien. Au contraire, leur leadership en sortira grandi s’ils prennent soin de ne jamais prendre une position de victime, mais de tirer de leurs faiblesses et de leurs échecs les leçons et conclusions nécessaires pour ajuster leur comportement.
L’outil pour aller plus loin : marier égo et humilité
Voici quelques pistes pour concilier ego et l’humilité afin d’affiner mon leadership et d’être toujours plus au service de la mission de mon entreprise :
- Faire la liste de mes forces, voir comment je les utilise au service de la mission de l’entreprise. Rectifier si ce n’est pas le cas.
- Lister mes faiblesses et vérifier si je les ai compensées par les forces des collaborateurs qui m’entourent. Si ce n’est pas le cas, rectifier…
- Prendre mon dernier échec, l’expliquer à mes collaborateurs en leur présentant ce que cela m’a appris.
- Détecter tous les signes qui marquent mon pouvoir et… les supprimer. Quelques exemples : une place de parking réservée, une place centrale dans les réunions, des privilèges liés à ma fonction… un bureau individuel.
Merci papa pour cet héritage que tu m’as confié. Il me faudra bien toute une vie pour l’intégrer et le transmettre à mon tour.
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Que votre vie soit belle,
Pierre
PS : la ressemblance entre les mots humilité et humour me frappe, comme s’ils partageaient un terreau commun. Être capable de rire de soi serait-il un premier pas vers l’humilité ?
Liens :
- “The Myth of the “No Ego” Leader.”, article de Gregory Stebbins au Huffington Post.
- Exposé sur l’humilité (avec humour) de John Dickson au sommet mondial du leadership de 2011: https://www.youtube.com/watch?v=3GSoKb3imi4 (anglais sous-titré français, 7min).
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