Dans ce 2ème article sur la 5ème clé « découvrir ma puissance en temps de crise, nous approfondirons l’importance de prendre soin de la violence qui m’habite avant d’agir et des moyens concret pour y arriver : agir plutôt que réagir et décharger le venin qui coule dans mes veines sur une médiation symbolique.
Dans mon article précédent, « Il existe une autre voie que mes réactions automatiques ! », nous avons vu que beaucoup d’entre nous, quand nous sommes insécurisés, sommes enfermés dans nos réactions automatiques (cerveau reptilien : 3F). De là découle une conception dualiste de l’engagement. Comme si nous n’avions que deux options : la contre-violence ou la passivité. Or elles alimentent chacune à leur façon la violence ! La bonne nouvelle de cette cinquième clé, c’est qu’il existe une façon d’agir au sein de la crise qui est cohérente avec les buts que nous poursuivons : la non-violence active ou la Bonne Puissance.
Découvrir sa puissance dans le processus de transition, c’est prendre un engagement, intérieur et extérieur, individuel/personnel et collectif. Cela demande de la force, de la persévérance, de la détermination, de l’énergie pour faire bouger les choses, changer ce qui n’apporte pas la vie.
Comment faire, par où commencer ?
L’engagement individuel
S’engager ne veut pas dire se laisser entraîner dans le courant de la violence. La question des moyens est centrale : si tu veux la vie, sème la vie ! Ce n’est pas en la détruisant que tu y arriveras. S’engager pour la vie et non pas contre les autres !
Gandhi disait :
« Votre grande erreur est de croire qu’il n’y a aucun rapport entre la fin et les moyens… C’est comme si vous prétendiez que d’une mauvaise herbe, il peut sortir une rose.
Gandhi
Les moyens sont comme la graine et la fin comme l’arbre. Le rapport est aussi inéluctable entre la fin et les moyens qu’entre l’arbre et la semence. On récolte exactement ce qu’on sème. Par conséquent, selon qu’on s’entraîne à la violence ou à la non-violence, on doit faire appel à des techniques diamétralement opposées. »
Ainsi, la non-violence est une force au service de la vie, de toute vie, de chaque vie, alors que la violence est au service d’une vie ou de certaines vies, mais non de toutes. Elle met le respect absolu de l’être humain au centre de ses préoccupations et de ses actions. En d’autres termes, face à n’importe quel être humain, même s’il a des attitudes de monstre, elle croit que, quelque part en lui, il a une conscience et un cœur. Même si actuellement sa conscience est totalement cachée derrière d’épaisses murailles, la non-violence a foi en la personne. Cela revient à dire, avec la Roue du Changement de Regard, qu’il y a une part de « transparent » en l’autre, et que je ne veux pas le réduire au seul mal qu’il commet ou à ce que je lui reproche. Au nom de cette foi, je choisis de le respecter dans l’absolu, c’est-à-dire de ne pas chercher à le détruire, à le supprimer, à l’exclure, à le diminuer. Cela ne m’empêchera pas pour autant de tout faire pour stopper la violence, la destruction s’il y prend part !
Être non-violent, ce n’est pas ne jamais être violent
Il n’est pas rare qu’une personne qui a pris conscience de son comportement passif et qui décide de changer, revienne nous trouver affolée en nous disant : « Je ne sais pas ce qui m’arrive mais je deviens violente« . Et à l’inverse, la personne qui était dans la contre-violence peut avoir l’impression de devenir passive. C’est un passage fréquent et difficile à vivre mais c’est plutôt un signe d’espérance ! Pour la personne qui n’osait pas agir, avoir posé un acte concret est un fameux pas. De la même manière pour celui qui se laissait d’habitude emporter par sa violence intérieure, avoir réussi à ne pas réagir impulsivement est déjà une avancée pour lui. Ce n’est pas étonnant que leur « nouvelle » réaction ne soit pas immédiatement ajustée à cent pour cent. Il ne faut pas y renoncer pour autant.
C’est un premier pas qui a sûrement changé des données dans la relation en question. Il s’agit de continuer à partir de là. Peut-être en exprimant à l’autre :
- mon « transparent » : ma tentative de sortir de ma violence (contre-violente ou passive),
- mon « rayé » : ce faisant, l’autre forme de violence que j’ai commise (passivité ou contre-violence) et qui me fait peur,
- et mon désir de vivre une autre relation avec lui.
« Être non-violent, ce n’est pas ne jamais être violent… au sens de la Roue du Changement de Regard, ne jamais être violent est impossible !
Ariane et Benoît Thiran
Être non-violent, c’est devenir de plus en plus conscient de sa propre violence…
et ne jamais chercher à la justifier quand on la découvre…
toujours chercher à revenir à une attitude non-violente. »
La bonne nouvelle de cette cinquième clé, c’est qu’il existe une façon d’agir au sein de la crise qui est cohérente avec les buts que nous poursuivons. Nous pouvons nous engager dans cette voie, y mettre notre recherche de cohérence, notre cheminement intérieur, notre courage, nos forces, notre persévérance, en synergie avec celles des autres engagés dans cette voie.
« Choisir la non-violence, c’est refuser que notre existence et notre histoire soient soumises à la fatalité de la violence, c’est vouloir ouvrir un chemin de liberté qui permette aux hommes de se réconcilier avec leur propre humanité et de construire un avenir fraternel. Opter pour la non-violence, c’est affirmer que, dans son face-à-face avec l’autre, l’homme n’a pas la violence pour unique possibilité. Seul, en définitive, la non-violence peut rompre le cycle des ressentiments, des revanches et des vengeances et faire advenir la justice et la paix. »
Jean-Marie Muller
Agir au sein de la violence n’est pas réagir à la violence !
Si nous nous laissons emporter dans la réaction, il y a de grandes chances que nous tombions dans nos réactions automatiques (3F): la contre-violence ou la passivité et la fuite. Nous y sommes tellement entraînés, les pièges sont si nombreux, nous retombons si facilement dans les ping-pongs 1.
Si nous voulons sortir de la réaction compulsive, la première étape est de prendre du recul et de prendre soin de ce qui se passe en nous-même. En effet, comment prétendre agir de façon non-violente, si nous ne cultivons pas d’abord la non-violence en nous-même ?
« En tant qu’être humain je ressens très profondément la nécessité de mettre fin à la violence et je veillerai à y mettre fin en moi-même. »
Krishnamurti.
« Si la compassion, la justice et la libération ne peuvent prendre vie en nous-mêmes, où donc le pourraient-elles ? »
Jacques Kornfield.
Prenons du temps pour accueillir la violence qui nous est faite : la nommer, l’apprivoiser. Accueillir la violence qu’elle réveille en nous, si minime soit-elle, la conscientiser.
Ce sont deux premiers pas indispensables. Cependant, ils ne sont pas suffisants. La violence est comme un poison qui circule dans mes veines. Si je ne l’évacue pas, elle me pilote du dedans et risque à tout moment de sortir, probablement à un mauvais moment, d’une façon inadéquate et sur les mauvaises personnes. Comment faire pour qu’elle ne nourrisse pas l’escalade de la violence ?
Comment faire pour ne pas entrer à mon tour dans les ping-pongs et semer la destruction ?
Décharger ma violence intérieure sur une médiation symbolique.
Il est essentiel de prendre soin de la violence qui m’habite car elle est comme un cri en moi qui dit que mon être profond est en souffrance. En même temps, je ne dois pas la laisser circuler en moi au risque qu’elle me prenne tout entier. La médiation symbolique va me permettre de faire ce nettoyage en moi. Concrètement, je choisis un objet (pas une personne) comme médiation pour déverser la violence qui m’habite. Je peux, par exemple, écrire une lettre puis la brûler, taper sur un coussin, faire un procès à une poupée grandeur nature, etc. Il s’agit d’être créatif pour sortir ce venin de la violence qui m’habite.
Toute la violence que j’aurai ainsi fait sortir de moi ne coulera plus dans mes veines et ne sortira pas sur les autres… C’est une sorte d’écologie intérieure, une façon de traiter tout ce qui risque d’aller pourrir dans ma poubelle relationnelle 2. Mieux vaut en faire du compost pour que cela soit transformé en bon terreau pour mes relations futures.
Deux petits exemples. Un jour Ariane, ma femme, pas celle de la photo, avait vécu une forte violence. Elle me dit : « j’ai envie de hurler ! »… Mais où le faire ? Dans la maison, dans la forêt, ça risque d’alarmer les voisins ou les passants. Elle a eu une idée géniale : elle est partie en voiture sur l’autoroute et là elle a pu hurler tout son saoul !
Une femme que j’accompagnais était en plein divorce. Son ex-mari était vraiment odieux, injuste et violent. Elle m’a dit : « j’aimerais dire tout ce que je n’ose pas dire devant le juge… mais je voudrais être entendue, je voudrais un témoin ». Nous avons construit un pantin grandeur nature et elle lui a « fait son procès ». C’était impressionnant. Elle m’a dit que ça l’avait énormément aidé par la suite. Elle était plus paisible, les attaques de son mari la touchaient beaucoup moins et ses réactions ont été plus appropriées et congruentes avec ce qu’elle voulait être et vivre.
Alors n’hésitons pas à avoir recourt à la médiation symbolique. Utilisons-la autant de fois que nous en aurons besoin.
Maylis De Almeida, une de mes collègues, formatrice et coach, nous parle de l’expérience du sac à dos et des montagnes… une façon de faire une médiation symbolique :
J’ai accompagné une équipe de responsables de foyers (lieu de vie partagée où cohabitent des personnes avec et sans handicap) qui rencontrait une difficulté avec une de leurs collaboratrices, appelons-la Claire. De leur point de vue, Claire, n’arrivait pas à s’intégrer dans son équipe, prenait des initiatives parfois inajustées, voire à l’encontre des décisions d’équipe ; les responsables étaient tendus, certains furieux, leurs paroles témoignaient de beaucoup de jugements sur les comportements de Claire.
Ils m’appelaient auprès d’eux pour les aider à mettre en place un plan de recadrage, voire d’exclusion de Claire, en mettant en œuvre la non-violence. Rapidement, il m’a semblé qu’il s’agissait non de recadrage en tant que tel, mais de divergences de points de vue et de blessures relationnelles. Les observant empêtrés dans leur point de vue et incapables de nommer le point de vue de Claire, je leur ai proposé un exercice visuel et corporel.
J’ai dessiné 2 montagnes, l’une représentant leur point de vue, leur représentation de la situation, et l’autre celui de Claire.
Je leur ai proposé d’écrire sur « leur » montagne, tout ce qu’ils reprochaient à Claire : elle ne veut pas nous écouter ! Elle est vraiment insupportable en réunion ! Elle se fout complètement de ce que pensent les autres membres de l’équipe ! Elle est certaine d’avoir raison tout le temps ! Elle n’a pas envie de s’engager vraiment ! Etc. C’était comme s’ils vidaient un énorme sac à dos plein des grosses pierres de leurs jugements, représentations, certitudes. Avec tout ce poids, quand on est aussi plein de ce qui nous habite, comment se déplacer vers l’autre ? Au bout d’un certain temps, voyant qu’ils épuisaient un peu leurs arguments, que leur sac à dos se vidait, je les ai invités à imaginer ce que Claire pourrait dire de son côté, et à l’écrire, avec une autre couleur, sur la montagne de Claire. Une grande majorité d’entre eux se rendirent compte qu’ils n’arrivaient pas à entrer dans le point de vue de Claire… Il leur restait trop de pierres dans leur sac à dos !
Voyant cela, j’ai découpé le papier en deux, déplacé une table un peu plus loin, et leur ai dit : « Restez ici, sur votre montagne. Sentez bien tout ce qui est dans votre sac à dos et vous empêche de rejoindre la montagne de Claire. Dessinez votre sac à dos, écrivez toutes les pierres qui sont encore dedans. Quand vous vous sentez prêts, vous pouvez venir sur cette autre table et écrire sur la montagne de Claire ce que vous avez perçu de son point de vue, ce que vous imaginez qu’elle pourrait dire, ce qu’elle vit face à cette même situation ».
J’ai pu voir chacun faire plusieurs fois le trajet d’une montagne à l’autre, pour « déposer, larguer encore quelques cailloux » présents dans leur sac à dos, avant de pouvoir s’asseoir sereinement sur la montagne de Claire, et enfin mettre des mots sur son vécu, son point de vue, ses propres représentations, et donc la violence qu’elle pouvait vivre avec eux !
Ce fut un moment intense, émouvant. Chacun l’a gardé en mémoire, et moi aussi ! Il aura fallu papiers et feutres, dessin de montagnes, de sac à dos, et déplacements corporels pour que chacun puisse prendre conscience de la violence qu’il vivait et faisait vivre.
Après cela nous avons pu avancer avec les responsables, poser les jalons du travail avec Claire, pour lui permettre de trouver sa place dans l’équipe, réfléchir à comment la recadrer avec respect et justesse sur les éléments qui le demandaient… sans les projections et blessures vécues par les responsables dans la relation avec elle.
Dans la majorité des cas, nous ne serons pas les seuls concernés. Dans mon prochain article, nous aborderons quelques aspects essentiels de « l’engagement collectif ».
D’ici là je vous souhaite de prendre de plus en plus soin de la violence qui vous habite !
Benoît
Photos : Pixabay
Notes : 1 J’ai expliqué les « ping-pongs » de la relation dans l’article « les trois mécanismes qui bloquent nos relations »
2 Pierre explique la poubelle relationnelle dans la vidéo « un outil pour des relations vraies et harmonieuses »
POUR APPROFONDIR
Vous trouverez sur https://www.m-h-d.be/sept-cles-de-la-transition
- une présentation des 7 clés de la transition,
- un schéma résumé
- l’accès à tous les articles que j’ai déjà publié sur le sujet
- la possibilité de télécharger gratuitement un Ebook… une mise en bouche !
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