A chaque fois que j’impose une nouvelle règle à mes collaborateurs, je place une barrière qui génèrera soit l’envie de la franchir, soit la frustration de perdre un peu de liberté. Pour créer un environnement motivant, limitons les règles et créons un cadre évolutif définissant l’esprit dans lequel la communauté que forme l’entreprise veut vivre et se développer.
Des barrières ou un tremplin ?
Pour assurer leur bon fonctionnement, les entreprises définissent des règles pour leurs salariés. Il s’agira d’horaires à respecter, de codes vestimentaires parfois, de reporting à produire, de montants de dépenses à ne pas dépasser, d’application autorisées ou non (accès aux réseaux sociaux…), de temps de pose limités, d’attitudes à observer… Lorsqu’une règle est fixée, le besoin de contrôler son respect survient immédiatement. Dès lors il est demandé aux managers, à des auditeurs internes ou externes de veiller au respect de ces règles et d’appliquer le cas échéant les sanctions nécessaires.
Vous allez me dire que ce serait bien de pouvoir se passer de règles, mais la nature humaine étant ce qu’elle est, il en faut, sinon ce serait le chaos. Imaginons ce qui se passerait s’il n’y avait pas de code de la route… Je suis bien d’accord : sans cadre, c’est le chaos. Par contre, je remarque que les règles imposées par les entreprises sont souvent des règles restrictives, plutôt qu’un cadre de vie commune ayant pour seul objectif de permettre à chacun de donner le meilleur de lui-même au service de la mission de l’entreprise.
Alors je vous invite à vous poser la question : dans mon entreprise, les règles en place sont-elles des barrières ou des tremplins ?
« Si vous mettez des barrières autour des gens, vous obtenez des moutons »
William L. Mc Knight, patron de 3M (1924)
Le problème de la nature humaine, c’est que dès qu’un homme voit une barrière, il ressent soit une envie furieuse de passer au-dessus, soit une frustration profonde due au sentiment de privation de liberté. Fin des années 90 je gérais une équipe de consultants en informatique à la Générale de Banque à Bruxelles. La banque n’avait pas prévu de pointage de sorte que le nombre d’heures prestées par chacun n’était pas contrôlé. C’était la fameuse époque du bug de l’an 2000 et de la préparation au passage à l’Euro. Le travail ne manquait pas : les journées se terminaient régulièrement bien au-delà de 20 heures et parfois au-delà de minuit (les heures supplémentaires n’étaient pas payées). En 1999, Fortis voit le jour suite à la fusion de la Générale de Banque avec la CGER. En conséquence de cette fusion, les collaborateurs de Fortis, internes et externes, ont tous été soumis au pointage comme l’étaient déjà ceux de la CGER. En quelques mois, j’ai vu l’effet pervers du pointage, c.à.d. du contrôle des heures prestées. Les journées étaient devenues beaucoup plus courtes : les mêmes équipes qui auparavant n’hésitaient pas à terminer ce qu’elles avaient commencé en prolongeant la journée bien au-delà du temps de travail règlementaire, s’arrêtaient maintenant dès que le temps était écoulé. Inconsciemment ces hommes et ces femmes étaient passés d’un mode de travail pour un objectif (« je viens pour réaliser quelque chose ») à une prestation horaire (« je viens pour faire mes heures »).
Plutôt que des règles, je vous invite à mettre en place un cadre de vie. Ce cadre n’est pas fait de barrières, mais plutôt de pratiques à respecter pour que chacun puisse individuellement donner le meilleur de lui-même et que le bon fonctionnement de l’équipe soit assuré. Un cadre qui motive, plutôt que des règles qui limitent : des tremplins plutôt que des barrières.
La loi ou l’esprit de la loi
Quelle est finalement la différence entre un règlement et un cadre ? Ne suis-je pas en train de jouer sur les mots ?
Les règles visent des situations précises, elles agissent comme des lois. Comme l’environnement ne cesse de changer, surtout ces dernières années, elles sont toujours en retard sur la réalité du terrain et il faut toujours plus de règles, comme il faut toujours plus de lois. Plus j’en rajoute, plus cela devient compliqué, lourd et pénible, souvent incohérent.
Le cadre ne vise pas des situations précises, le cadre définit un état d’esprit, il exprime le pourquoi de la règle. La force du cadre c’est de ne pas préciser le comment, de laisser à chacun la responsabilité de définir le comment et de mettre ce comment au service de la mission de l’entreprise.
Un exemple
Il y a quelques mois, je participais à un séminaire de l’UDN (Université du Nous – www.universite-du-nous.org). Nous étions 16 inconnus embarqués pendant 4 jours pour créer et lancer ensemble une entreprise éphémère, c.à.d. une entreprise qui naitrait, vivrait et prendrait fin au cours de ces 4 jours. L’objectif de ce séminaire était de faire une expérience de gouvernance partagée. Pour lancer cette collaboration entre ces 16 personnes venues de pays et d’horizons totalement différents, de nombreuses règles auraient pu être définies. Rien de tout cela, nos coachs nous proposèrent un cadre de sécurité composé de trois points :
- Bienveillance : pour soi, pour l’autre, pour le groupe et pour l’environnement.
- Souveraineté : chacun est en responsabilité de ce qu’il souhaite partager, de ce qui lui arrive (émotions), de faire des demandes, de poser des questions, d’objecter.
- Confidentialité : engagement de chacun à respecter la confidentialité des situations exposées.
Ce cadre est annoncé comme étant opposable et évolutif. Il est opposable, c.à.d. que si quelqu’un ne le respecte pas, le cadre sera invoqué. Il est évolutif, c.à.d. que si le groupe en ressent le besoin, d’autres points seront ajoutés ou des éléments existants seront abandonnés ou amandés. Enfin, chacun en est le garant, c.à.d. qu’il est du devoir de chacun de réagir à chaque fois que le cadre n’est pas respecté. Le contrôle peut faire place à l’autocontrôle du groupe par lui-même.
Dans notre groupe, un 4ème point a d’ailleurs été ajouté au cadre dès le départ : il s’agit du respect définit comme étant le non-jugement, l’accueil du point de vue de l’autre et des décisions prises ensemble.
Certaines entreprises organisent de façon mensuelle ou trimestrielle, des réunions de fonctionnement. L’objectif de ces réunions est de faire évoluer le cadre et les règles de fonctionnement de l’entreprise afin qu’ils restent toujours des outils au service de la mission de l’entreprise et de celles et ceux qui la côtoient.
Conclusion
En conclusion, faut-il supprimer le code de la route ? Bien sûr que non. Par contre, il serait bon de le replacer davantage dans un cadre exprimant le pourquoi de ce code de façon à ce que chacun prenne conscience que le code n’est qu’un minimum à respecter. Ce qui est essentiel c’est le pourquoi de ce code, sa raison d’être. Si je roule à 50km/h dans les petites rues sinueuses qui servent régulièrement de pleine de jeux dans mon village, je respecte le code, mais pas la raison d’être du code.
Faut-il supprimer le pointage ? Je pense que oui. Les nombreuses entreprises qui l’ont fait ses dernières années ont expérimenté l’effet positif de cette suppression sur la motivation des salariés.
Offrir ou mieux, cocréer un cadre, c’est mettre le pourquoi en évidence et laisser à chacun le choix du comment.
Un cadre pour mon entreprise
Je vous invite à créer avec votre équipe un cadre pour votre entreprise. Il existe de nombreuses méthodes pour définir un cadre pour une organisation. Je vous propose ici trois outils pour lancer la réflexion.
A partir des règles existantes
Listez les règles en place dans votre entreprise. Pour chaque règle, posez-vous la question de son pourquoi ? Quel est l’esprit que veut faire respecter cette règle. Intégrer ces pourquoi à votre cadre.
A partir du rêve
Imaginez avec votre équipe ce que serait la vie rêvée dans votre entreprise : une entreprise performante où les clients sont enchantés, les collaborateurs sont heureux de venir travailler, les relations avec les partenaires sont excellentes et les actionnaires sont satisfaits. Visualisez dans votre rêve ce qui se passe dans cette entreprise idéale, comme chacun se comporte, quel est l’état d’esprit, comment sont les relations avec les clients, les fournisseurs… Prenez le temps nécessaire pour cette étape, ne vous contentez pas de quelques clichés. Ensuite, après avoir mis en commun les rêves de chacun pour n’en former plus qu’un, extrayez en le sel : quels sont les comportements de chacun, l’état d’esprit dans lequel se réalise la mission de l’entreprise. A partir de la dérivez votre cadre, c.à.d. les attitudes, les comportements adoptés au jour le jour par chacun.
A partir de ce qui fonctionne bien
Dans toute entreprise, il y a des aspects qui fonctionnent particulièrement bien. Lors d’un changement, il faut s’assurer de ne pas détruire ce qui marche, mais au contraire, partir de là. Repérez donc les points forts de votre entreprise, tant au niveau de ce qu’elle produit, que de son fonctionnement interne. Qu’est ce qui fait que nous nous dépassons et qu’est ce qui est motivant pour chacun ? Une fois que vous avez repéré ces éléments, intégrer les à votre cadre.
Besoin d’un coup de main pour faire cet exercice ? Appelez un bon coach…
Un livre pour aller plus loin : « L’entreprise du Bonheur »
J’ai déjà fait référence sur ce blog au livre de Tony Hsieh : « L’entreprise du bonheur ». Vu ce que cette lecture apporte aux dirigeants, je me permets de vous la proposer à nouveau au cas où vous ne l’auriez pas encore lu. Tony Hsieh est le patron de Zappos, une entreprise créée en 1999. Zappos vend des chaussures sur Internet. La mission de l’entreprise, « Vivre et Livrer du Wow », consiste à faire vivre une expérience de bonheur à chaque client. Dans son livre, Tony Hsieh explique comment il a défini 10 valeurs avec ses collaborateurs. Ses 10 valeurs sont le cadre de l’entreprise. Elles servent de référence pour tout évènement, toute décision, tout recrutement, tout choix stratégique ou non.
En voici les intitulés :
Vous découvrirez dans le livre comment l’entreprise partie de rien est arrivée en moins de 10 ans à un chiffre d’affaire de plus d’un milliard de dollars. Le cadre formé par ces 10 injonctions est un des outils fondamentaux de cette réussite.
Lien : L’entreprise du Bonheur, Tony Hsieh (en français, 256 pages, 21,00€)
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Que votre vie soit belle,
Pierre
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