« L’empathie peut changer le monde ». Ce n’est pas moi qui le dis, c’est Barbara Kruger, une artiste américaine qui a créé un panneau de 18m sur 8 pour la gare centrale de Strasbourg.
Et si c’était vrai ?
L’empathie, de quoi s’agit-il ? Est-ce un don ou une compétence à acquérir ? En quoi pourrait-elle rendre notre monde meilleur ? Quels sont les pièges à éviter ? Voici quelques questions que je propose d’aborder ici.
C’est quoi l’empathie ?
Empathie, contagion émotionnelle, sympathie, compassion… Ces mots sont-ils synonymes ?
Le Robert nous apprend que l’empathie est:
« La capacité de s’identifier à autrui dans ce qu’il ressent ».
Le Larousse dit à peu près la même chose. L’empathie est donc cette capacité qu’ont certaines personnes de se mettre à la place des autres, de ressentir ce qu’elles ressentent, de voir ce qu’elles voient, de comprendre ce qu’elles comprennent. L’empathie nécessite un déplacement vers l’autre, une décentration : je laisse (momentanément) mes émotions, mes croyances, mes certitudes, mon vécu… c.à.d. mon monde, pour rejoindre et découvrir le monde de l’autre. Souvent nous croyons connaitre le monde de l’autre et nous tombons dans les jugements. Au contraire l’empathie nous fait rejoindre l’autre, sans à priori, pour mieux le comprendre. Là où nos jugements partent de notre tête, l’empathie est davantage un mouvement des tripes et du cœur.
L’empathie émotionnelle et l’empathie cognitive
La littérature distingue l’empathie émotionnelle, à savoir la capacité à ressentir les états émotionnels d’autrui, de l’empathie cognitive, la capacité à comprendre ses états mentaux sans les ressentir soi-même.
Contagion émotionnelle
L’empathie ne doit pas être confondue avec la contagion émotionnelle. L’empathie garde une distance entre soi et l’autre. Cette distance disparait en cas de contagion émotionnelle dont l’exemple le plus évident est le fou rire. Dans les deux cas, je partage les émotions de l’autre. Dans celui de l’empathie, j’ai pleinement conscience que l’autre est la source de ces émotions.
La compassion
La compassion va plus loin que l’empathie. C’est en quelque sorte le pas de plus qui va nous pousser à transformer notre empathie en action. La souffrance vécue par l’autre nous touche au point que non seulement nous la ressentons, mais nous voudrions la soulager. Par ailleurs, la compassion est tournée vers la souffrance. L’empathie vise tout type de ressenti, qu’il soit agréable ou désagréable.
La sympathie
L’empathie ce n’est pas de la sympathie. J’éprouve de la sympathie pour quelqu’un qui a quelque chose en commun avec moi, une personne avec laquelle je développerais volontiers des liens d’amitié. L’empathie ne comporte pas ce lien affectif. Elle s’applique à tout autre, quel que soit le lien que j’ai avec lui, que ce soit mon plus grand ami ou même mon pire ennemi. Je peux éprouver de l’empathie pour quelqu’un qui m’a fait du tort ou quelqu’un avec lequel je suis en total désaccord ou encore quelqu’un dont je désapprouve totalement le comportement. Ce ne sera probablement pas le cas de la sympathie. Bien sûr, notre empathie ira plus facilement vers quelqu’un qui a des points communs avec nous et envers qui notre jugement est positif.
Un exemple
Un directeur commercial constate que Jean, un de ses collaborateurs, n’atteint plus ses objectifs depuis trois mois. Sa réaction pourrait être du type :
« Jean, cela fait trois mois que tu n’atteins plus tes objectifs. Qu’est-ce que tu fabriques !? Il est urgent de réagir. Si tu ne te ressaisis pas, tu ne feras pas de vieux os dans mon équipe… »
Si ce directeur avait été doué d’empathie, il aurait pu dire quelque chose du genre :
« Jean, cela fait trois mois que tes objectifs ne sont plus atteints. Depuis que nous travaillons ensemble tes chiffres ont toujours été excellents. Qu’est-ce qui se passe ? As-tu des difficultés chez toi ? Qu’est-ce qui ne va pas ? … ».
Pourquoi l’empathie peut sauver le monde ?
Nous expérimentons tous au fils de nos contacts tant professionnels que privés que les relations humaines ne sont pas simples. Vivre de façon harmonieuse autant avec ses proches qu’avec des personnes que nous ne connaissons pas personnellement mais que nous côtoyons au hasard de la vie semble être un art bien complexe et peu maitrisé.
L’huile dans les rouages complexes de nos relations
Souvent, ce qui nous manque, c’est précisément de l’empathie. L’empathie c’est l’huile dans les rouages complexes de nos relations. Sans huile, ça grince, ça use, ça bloque, ça casse. L’huile permet ce fonctionnement fluide, efficace et durable.
Si dans mon comportement, dans les décisions que je prends, dans mes relations avec les autres, je ne tiens pas compte de ce que vivent, ressentent, voient ou pensent ces autres, si je ne fais preuve d’aucune empathie, que je ne me mets jamais à leur place et que je suis convaincu que le monde est ce que je vis, ressens, vois et pense, je vais soit écraser beaucoup de monde sur mon passage ou je vais tout simplement me faire écraser moi-même.
Ouverture aux besoins de chacun
L’empathie est ce qui nous aide à construire ensemble, en tenant compte des besoins de chacun. Nous avons chacun des besoins. Lorsque ces besoins sont satisfaits, nous ressentons de la joie et du bien-être. Dans le cas contraire, des émotions plus difficiles telles que la colère, la tristesse ou la peur m’envahissent. Elles apparaissent précisément pour attirer notre attention sur nos besoins non satisfaits.
L’empathie va me permettre de prendre conscience du ressenti de l’autre et donc du fait que certains de ses besoins ne sont pas satisfaits. Si je ne tiens pas compte de ses besoins, la relation va devenir de plus en plus difficile et tendue. Par contre, si je prends le temps de rejoindre l’autre, de l’aider à exprimer ce qu’il ressent et les besoins pointés par ses émotions, je construirai une relation qui a de fortes chances d’aboutir à quelque chose de constructif et de positif.
L’empathie permet de désamorcer bien des conflits et d’éviter des guerres.
L’oubli de soi, le piège des « empathiques »
Si vous êtes plutôt empathique, c.à.d. que vous vous mettez naturellement à la place des autres, vous et vos proches en récoltez les bénéfices évoqués plus haut. Il y a cependant aussi des pièges à éviter dont le plus important est l’oubli de soi. Comme je ressens facilement ce que l’autre vit, j’ai tendance à lui laisser plus de place, voir toute la place sans tenir compte de mes propres besoins. L’empathique ressent donc souvent une certaine frustration ou le sentiment de ne pas être pris en compte, de passer après les autres… Pour certains il est difficile de dire non parce qu’en se mettant à la place de l’autre, ils ont l’impression qu’en disant non, ils le contrarieront.
Il y a donc un équilibre à trouver. Certains parlent d’auto-empathie. Je dirais plus simplement que s’il est essentiel pour vivre ensemble dans l’harmonie de pouvoir se déplacer au pays de l’autre, il est tout aussi essentiel de revenir ensuite dans son propre pays pour s’occuper de ses propres besoins. Si, par empathie, je ne tiens compte que des besoins des autres en oubliant les miens, cela ne peut pas bien se passer pour moi et la relation en souffrira.
Développer son empathie
L’empathie est-elle un don inné ? Est-il possible de développer son empathie ? L’empathie serait-elle comparable à un muscle que je peux développer en l’exerçant ? Une chercheuse allemande, Tania Singer, s’est posé cette question et sa réponse est positive.
La voie de l’empathie cognitive
Si, au départ, mes attitudes naturelles manifestent une empathie assez faible, si je n’ai pas tendance à me mettre à la place des autres et si je ne ressens pas naturellement ce que ressentent les autres, je peux faire un chemin qui passera davantage par le cognitif que par l’émotionnel.
Prenons l’exemple des relations au bureau. Après avoir fait le constat que mes relations sont plutôt difficiles avec certaines personnes, je pourrais demander à un collègue doué d’empathie de me donner un feedback et essayer de me mettre volontairement à la place de l’autre. Naturellement je ne l’aurais pas fait. Mais parce que je constate une difficulté et que je veux trouver une solution, je décide de me mettre à la place de l’autre. Peut-être m’est-il impossible de ressentir ce qu’il ressent, mais je peux, en me mettant à sa place, imaginer ce que cela lui fait, imaginer la souffrance qu’il ressent. C’est la voie de l’empathie cognitive.
Comprendre ce que je ne ressens pas
Sur ce point, Nicolas Danziger, neurologue et chercheur à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière à Paris, s’est posé la question de savoir s’il était possible de comprendre ce que l’on n’avait jamais ressenti. Pour répondre à cette question, il a travaillé avec des personnes atteintes d’insensibilité congénitale à la douleur physique. Ces personnes sont-elles capables de ressentir de l’empathie pour des personnes souffrant de douleurs physiques ? L’étude de Danziger montre clairement que oui, elles en sont capables précisément en passant par le canal cognitif qui leur permet d’imaginer une souffrance qu’elles n’ont-elles-mêmes jamais ressentie.
L’écoute active au cœur de l’empathie
L’outil le plus évident pour développer nos capacités empathiques est probablement l’écoute active étudiée et promue par Carl Rogers, un psychologue humaniste américain.
Les deux enjeux de l’écoute active
Cette écoute souvent appelée aussi écoute empathique présente un double enjeu :
- d’une part que l’autre se sente rejoint dans ce qu’il veut faire passer comme message;
- d’autre part de vérifier si mon interprétation de son message est bien conforme à ce qu’il veut me dire.
Peut-être avez-vous déjà eu l’occasion de vous former à l’écoute active. Si ce n’est pas le cas, je vous invite fortement à le faire : cet outil change en profondeur les échanges que nous avons avec les autres.
Trois niveaux d’écoute
Souvent nous écoutons de manière assez distraite, pour ne pas trop vexer l’autre. C’est le premier niveau d’écoute que Carl Rogers appelle l’écoute polie : je fais semblant d’écouter, mais en réalité, je n’écoute pas vraiment.
Le second niveau d’écoute mis en lumière par Rogers est l’écoute conversationnelle : j’écoute l’autre pour mieux parler de moi. Lorsque l’autre me parle, cela éveille en moi des souvenirs, des pensées, des jugements… que je n’ai de cesse de lui expliquer. Comme je crains de perdre ces idées qui assaillent mon cerveau, je coupe mon interlocuteur pour lui expliquer mes pensées. Personnellement, quand j’ai entendu cette explication pour la première fois, je me suis rendu compte que j’avais encore bien des progrès à faire pour écouter en profondeur, pour écouter « activement ». Le problème de l’écoute conversationnelle, c’est justement qu’elle n’est pas empathique, j’écoute sans me déplacer, j’écoute à partir de mon point de vue, de mon ressenti, de ma réalité, de mes valeurs.
L’écoute active est le troisième niveau. Elle demande ce déplacement pour pouvoir écouter sans jugement. Si je visite un pays et que je passe mon temps à le comparer et à l’évaluer à partir de mon chez moi, je suis incapable de comprendre ce qu’est ce pays, sa culture, sa réalité, sa beauté. C’est pareil pour l’écoute : j’ai à quitter mon pays pour rejoindre celui de l’autre sans juger, ni évaluer, ni comparer. Et alors, me direz-vous, si j’écoute activement, avec empathie, je ne peux plus donner mon avis ? Bien sûr que oui, mais après avoir écouté l’autre et après vous être assuré qu’il s’est bien senti compris et rejoint. Si c’est le cas, cet autre sera d’autant plus motivé et ouvert à rejoindre votre pays comme vous l’avez fait vous-même.
Ecouter sans m’écraser et m’exprimer sans écraser
Dans l’article « Transformer les murs qui nous séparent en ponts », nous développons ces 2 mouvements: écouter sans m’écraser et m’exprimer sans écraser. Ils permettent d’ouvrir la relation. Vous y découvrirez un « outil magique », central dans nos formations : la Roue du Changement de Regard qui nous aide à approfondir l’empathie et plus, la relation non-violente.
Comment faire pour écouter activement ?
Vous l’aurez compris : il s’agit d’abord d’un état d’esprit et d’une posture. Ensuite il existe des outils précieux tels que :
- Les questions (ouvertes) : poser des questions pour que votre interlocuteur approfondisse ce qu’il vous partage ou tout simplement pour mieux comprendre « son pays ».
- La reformulation : lorsqu’il vous a expliqué quelque chose, dites-lui ce que vous avez retenu et demandez-lui si c’est bien cela qu’il a voulu dire. Il n’y a que votre interlocuteur qui puisse dire si vous l’avez compris ou non. Aussi, ne dites pas « je comprends », mais reformulez-lui ce que vous avez compris et demandez-lui si c’est bien cela. Se forcer à reformuler ce que l’autre me dit, m’aide aussi à garder mon attention sur ses paroles et à ne pas tomber dans l’écoute conversationnelle.
- Au-delà des mots : Soyez non-seulement attentif aux mots qu’il prononce, mais observez le ton de sa voix, les mimiques de son visage, les gestes de ses mains ou les mouvements de ses pieds. Vous y percevrez tantôt de la joie, tantôt de la peur, de l’anxiété, de la colère, du doute… une foule d’émotions qui vous parlent de ce que la personne vit. Par vos questions, vous l’inviterez alors à parler de son ressenti. Vos questions seront comme une main tendue pour aller plus loin, plus profond, plus en vérité.
Partager plutôt que vouloir convaincre
Un frein essentiel à l’empathie est notre désir de vouloir convaincre l’autre, de vouloir le contredire, lui prouver qu’il a tort et que j’ai raison, que ma solution est meilleure que la sienne… C’est ce que Marshal Rosenberg appelle le jeu du « Qui a tort, qui a raison ».
La posture de ce jeu qui, selon Rosenberg, est à l’origine de la violence est le jugement : je juge l’autre, je juge ses actes, ses pensées, ses besoins, ses émotions… Quand je suis dans cette posture, je ne peux pas rejoindre l’autre, il ne peut pas se sentir écouté. Au contraire, il ressentira profondément ce rejet en moi. Le secret est donc de mettre mes jugements, mes avis, mes croyances, mes solutions au placard tout le temps de l’écoute et ensuite, lorsque l’autre se sent écouté en vérité, je lui proposerai, s’il est d’accord, de partager ma façon de voir les choses, mes idées, mon ressenti, mes besoins. De ce partage, de cette mise en commun nait une richesse.
Le partage enrichit et permet de construire ensemble là où la confrontation brutale et le débat sont souvent stériles ou même destructeurs.
Pour que notre monde soit plus beau, développons notre empathie.
A bientôt,
Pierre de Lovinfosse
Illustrations: Jackson David, non-identifié, non-identifié, Mystic Art Design, Gordon Johnson, non-identifié, Mohamed Hassan
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