« Travail qui relie » (TQR) [1] est une démarche de cheminement en groupe, pensée par l’éco-psychologue Joanna Macy et ses collègues depuis les années 1970. Des milliers de personnes de par le monde ont déjà participé à ces ateliers dont le but est de soutenir le désir de prendre part à la transition et la capacité à participer à la guérison de notre monde. Conçue en réponse à l’angoisse latente qui paralyse nos sociétés, cette approche aide les personnes à accueillir pleinement ce qu’elles ressentent pour le monde tout en trouvant le courage et les liens de solidarité dont elles ont besoin pour s’engager dans le « changement de cap » vers une société qui soutient la vie.
Mon cheminement
Jusqu’il y a environ 3 ans, j’étais conscient de manière très globale du réchauffement climatique, de la disparition des espèces et de la pollution. J’essayais déjà d’être cohérent à mon niveau : tri des poubelles, une seule voiture, panneaux solaires, etc. Nos enfants étaient déjà plus radicaux. Je me rappelle notre fils qui nous avait parlé avec enthousiasme des livres de Pablo Servigne, Raphaël Stevens, Gauthier Chapelle : « Comment tout peut s’effondrer » et « Une autre fin du monde est possible ! » À l’époque, je ne voulais pas les lire, craignant une vision pessimiste, « prophète de malheur ». J’étais dans la première phase du deuil et du changement : le déni.
C’est alors que ma femme et moi avons commencé à nous former à diverses approches : la Fresque du climat (activité participative pour comprendre les grandes lignes des rapports du Giec), The Week (processus de conscientisation crée par Frédéric Laloux et sa femme), le TQR, etc… De plus en plus conscients de la réalité, ces démarches nous ont permis de parcourir les étapes suivantes du deuil.
La 2ème, la colère, la négociation, le marchandage, nous amenait à penser : « L’être humain s’en est toujours tiré », « La technologie va nous sauver », « En changeant de vie, nous pourrons y échapper », etc.
Dans les 3ème et 4ème étapes, la tristesse, la dépression et la résignation, ce qui nous habitait était de l’ordre de : « Quel gâchis », « Tant de souffrance pour tous les vivants », « A quoi bon… « …
En continuant nos formations, rencontres, lectures, vidéos, nous sommes petit à petit rentrés dans les 5ème et 6ème étapes : acceptation et expérimentation/reconstruction.
Le TQR m’a permis d’accueillir ce qui se passe en moi et dans les autres aujourd’hui, dans un cadre sécurisé et avec des outils vraiment ajustés. Comme dans la théorie U ou l’intelligence émotionnelle, cet accueil libère les énergies qui restaient enfouies, bloquées en moi… et dans les autres. Quel beau foisonnement synergique et joyeux nous avons vécu.
En entreprise ?
Mon travail m’amène à rencontrer beaucoup de dirigeants et cadres qui se battent chaque jour, autant pour pérenniser leur entreprise, que pour la faire évoluer vers une gouvernance plus humaine, responsabilisante, motivante. Ils cherchent à générer un impact positif, interne et externe. C’est bien sûr, à mes yeux, une dimension centrale de la transition en cours. Je suis heureux de les accompagner sur ce chemin, cela fait sens pour moi et je vois déjà le courage et la persévérance que cela représente.
Cependant, cela ne me semble plus suffisant… Nous sommes face à une urgence vitale !
Comme le dit si bien Emmanuel Faber, ex PDG chez Danone [2] :
« Nous allons devoir mettre en œuvre une énorme transition
au cours des sept prochaines années.
Elle nous mettra complètement au défi en tant qu’êtres humains
(je rajoute : et en tant qu’entreprise)
et nous sortira de notre zone de confort ».
J’ai proposé à chacun de mes clients de leur offrir une demi-journée d’animation de la Fresque du Climat gratuitement. Tous ont réagi avec enthousiasme, mais aucun n’a programmé la demi-journée ! Il y a certainement la surcharge de travail présente chez chacun… et aussi, peut-être, une résistance ? Une peur ? Un sentiment d’impuissance ? Conscients ou inconscients ? Des questions sans réponse : « où cela va-t-il nous mener ? «
C’est pour moi un exemple éloquent et révélateur d’un besoin : beaucoup d’entre nous savent, pressentent que nous sommes à un tournant majeur, qui comporte des incertitudes sans commune mesure avec ce que nous avons rencontré jusque-là… Alors que faire ?
Ce qui m’a touché et mis en mouvement dans le TQR
Nous pouvons encore opter pour un monde qui soutient la vie…
J’en étais déjà convaincu, mais comment faire concrètement à mon niveau ?
Le TQR m’a offert un espace sécurisé et des outils expérienciels et pertinents pour avancer dans cette question, avec moi-même et en interaction avec mes pairs.
« Ne doutez jamais qu’un petit groupe de citoyens conscients et engagés puisse changer le monde.
En fait, ça ne s’est jamais passé autrement » Maired Maid anthropologue
Choisir notre histoire
Par « histoire », le TQR entend notre version de la réalité, la grille de lecture à travers laquelle nous voyons et comprenons ce qui se passe actuellement dans notre monde. Dans notre monde industrialisé d’aujourd’hui, les histoires les plus courantes semblent se résumer à trois. Ces trois histoires sont toutes « vraies ». Nous pouvons choisir celle que nous voulons retenir.
On fait comme d’habitude est l’histoire de la société de croissance industrielle. C’est celle que racontent les politiciens, les écoles de commerce, beaucoup d’entreprises et les médias qu’elles contrôlent. Le postulat de base est que nous n’avons pas besoin de changer notre façon de vivre. Le thème central est la nécessité de progresser. Les récessions économiques et les conditions météorologiques extrêmes ne sont que des difficultés temporaires dont nous nous remettrons sûrement, pour lesquelles nous trouverons des solutions, voire dont nous pourrons tirer profit.
L’Effondrement est l’histoire qu’ont tendance à raconter certains spécialistes de l’environnement, des journalistes indépendants et des militants. Elle attire l’attention sur les catastrophes que le modèle “on fait comme d’habitude” a causé et continue à créer. C’est une histoire qui s’étaye sur les preuves du dérèglement et de l’effondrement continus des systèmes biologiques, écologiques, économiques et sociaux.
Le Changement de Cap est l’histoire de ceux qui voient l’Effondrement et ne veulent pas qu’il ait le dernier mot. Elle implique des réponses humaines nouvelles et créatives qui permettent de passer de la société de croissance industrielle à une société qui soutient la vie. Le thème central consiste à s’unir pour agir au service de la vie sur la Terre.
La réalité dominante du « On fait comme d’habitude » est de plus en plus perturbée par les mauvaises nouvelles de « l’Effondrement ». Ces deux visions bloquent souvent la parole et l’action.
Le changement de Cap est le plus grand mouvement social de l’histoire… Il se produit à un niveau mondial et ne devient visible que lorsque nous prenons assez de recul pour regarder le panorama du changement évoluer au fil du temps. Le changement de cap est une histoire d’espérance en mouvement, il s’agit de suivre le fil de l’aventure.
Le phénomène du changement de Cap
se produit simultanément dans
trois dimensions interdépendantes.
La résistance pour la défense du vivant : des actions destinées à ralentir les dommages infligés à la terre et à ses habitants.
Des systèmes et pratiques de soutien du vivant : l’analyse et la transformation des fondations de notre vie en commun.
Le changement de conscience : un changement fondamental dans la façon d’appréhender le monde et dans les valeurs.
Les postulats de base du TQR dérivent de :
→ la difficulté actuelle de choisir la vie,
→ la reconnaissance de ce qui nous en empêche et
→ la compréhension des pouvoirs d’auto-organisation de l’univers.
La Spirale du TQR
Au fil des années, quatre étapes ont émergé, comme un processus en spirale, non linéaire… des stades successifs que nous sommes appelés à parcourir tout en y revenant encore et encore.
1. S’ancrer dans la gratitude
Reconnaître que les dons de la vie apaisent l’esprit, stimulent notre empathie. La gratitude favorise le sentiment de bien-être. Elle nous apprend à mieux repérer ce qui est déjà là, comment la vie est donnée, offerte. Elle renforce la confiance et la générosité. Elle est un antidote au consumérisme. Elle goûte le plaisir de vivre ensemble et avec toute la toile de la Vie. Elle renforce la résilience, ce qui nous donne des forces pour faire face aux informations perturbantes… La gratitude est un ancrage qui nous motive à agir pour notre monde.
2. Honorer notre souffrance pour le monde
La souffrance pour le monde est normale, saine, et très répandue. Elle nous aide à remarquer ce qui se passe. Elle suscite notre réponse.
Contrairement à l’opinion très courante dans notre culture dominante, la souffrance pour le monde n’est pas « une expérience négative ». Elle nous libère de nos blocages, nous alerte du danger, nous révèle l’amour que nous portons au monde et nous appelle à l’aventure.
Si nous voulons survivre en tant qu’espèce, nous devons comprendre comment la réponse au danger se bloque en nous et dans nos sociétés et comment éviter ce blocage. Il existe de nombreuses formes de résistance. Voici les 7 plus fréquentes :
- Je ne crois pas que ce soit si dangereux que ça.
- Ce n’est pas à moi de régler ce problème.
- Je ne veux pas me faire remarquer.
- Cette information menace mes intérêts commerciaux ou politique.
- C’est tellement bouleversant que je préfère ne pas y penser.
- Je me sens paralysé. Je suis conscient du danger, mais je ne sais pas quoi faire.
- Il est inutile de faire quoi que ce soit, puisque cela ne fera aucune différence.
Il ne suffit pas d’informer (connaissance intellectuelle), nous avons besoin d’assimiler la perte et de ressentir la douleur. Comme le travail du deuil, faire face à notre détresse ne la fait pas disparaître. Cependant, nous sommes en mesure de la replacer dans un contexte plus large, nous apprenons à nous sentir plus fort grâce à elle. Ainsi, le TQR offre une autre voie : un lieu de soutien en toute sécurité où la détresse peut être exprimée, entendue, valorisée et où j’expérimente que je ne suis pas seul à la ressentir. Elle nous permet d’être beaucoup plus ouvert à la 3ème étape de la spirale.
« Ce dont nous avons le plus besoin, c’est d’écouter en nous les échos de la terre qui pleure. » Thich Nhat Hanh
Je vous propose de continuer ce chemin le mois prochain, dans un article intitulé « Choisir un monde qui soutient la vie », où je vous présenterai les étapes suivantes de la Spirale du TQR, « Porter un nouveau regard » et « Aller de l’avant », ainsi que « Où cela m’a-t-il mené ».
Je désire aussi vous faire part d’ores et déjà d’une proposition concrète qui est née en moi à partir de tout ce cheminement :
Une session
« En transition vers la transition ».
Je suis en train de la développer sur base d’une synergie entre le TQR et mes deux principales approches,
le Tableau de bord du Management-Humain-Durable, les 7 clés de la transition.
Je suis aussi en train de construire un lieu hors du temps, à l’écart, qui permettra une expérience d’immersion. Je suis convaincu que, d’une part, les approches de la session permettent de faire une partie du chemin et, d’autre part, la nature peut faire « une autre partie du travail intérieur » beaucoup mieux que nous.
Si vous êtes intéressés par cette session et que vous souhaitez être tenus au courant des avancements de ce projet, n’hésitez pas à me le signaler via ce lien. Je vous tiendrai au courant.
Notes
[1] J’ai rédigé cet article notamment à partir de plusieurs extraits des livres : L’espérance en Mouvement, Joanna Macy et Chris Johnstone, Labor et Fides, 2018. Ecopsychologie pratique et rituels pour la terre, Joanna Macy et Molly Young Brown, Le Souffle d’Or, 3ème éd., 2021
[2] Interview Regenerative Alliance 2021
Photos : Pixabay
POUR APPROFONDIR
Vous trouverez sur https://www.m-h-d.be/sept-cles-de-la-transition
- Une présentation des 7 clés de la transition et un schéma résumé
- L’accès à tous les articles que j’ai déjà publiés sur le sujet
- La possibilité de télécharger gratuitement un E-book… une mise en bouche !
Bravo Ben. je viens d’arriver au bout de ce message.
J’attends vivement sa suite.
Pierre