Rendre un projet… pour hier, répondre à une montagne d’emails, participer à des réunions et projets différents (trop), sans oublier d’assumer les tâches opérationnelles de ma fonction, d’être disponible pour les clients, fournisseurs et collaborateurs… tout en prévoyant le prochain séjour de vacances, avant d’aller chercher les enfants à l’école, de faire les courses, d’aller à mon sport… ça vous parle ?
Pour ma part, j’ai l’impression que, dans notre société d’aujourd’hui, rares sont ceux qui y échappent… Que ce soit dans le monde des entreprises, dans le non-marchand ou le social, et même dans le privé : nos journées ressemblent de plus en plus à des courses contre-la-montre où chaque instant est consacré à une tâche précise qui doit être réalisée dans un temps limité. Symptôme de cette époque d’occupation maximale :
- Les fameuses To do lists, ces listes de tâches à accomplir qui ne laissent plus la moindre place à l’inutile, encore moins à l’oisiveté et,
- Les smartphones, véritables ordinateurs de poche tout-en-un, que nous ne quittons plus, sous prétexte qu’ils nous permettent « d’être tellement plus efficace ». Vraiment ?
Que perdons-nous dans cette pression continue ?
En fait, il serait plus utile de poser la question dans l’autre sens : que gagnerions-nous si nous étions en capacité, à nouveau, de dégager du temps inutile, du temps flottant, des moments sans action, sans réaction, sans performance, simplement du temps de vie ?
Peut-être l’essentiel…
1. Mon arrêt régulier
Chaque mois, je partais 1 jour, seul dans une petite cabane au milieu de la nature. Pour y faire quoi ? Rien de particulier, simplement me laisser guider par mon élan du moment : me promener, écrire dans mon cahier de cheminement personnel, lire un texte inspirant, le méditer, faire une sieste, prendre le temps de goûter avec lenteur mon repos, le silence, le chant des oiseaux, la beauté d’une fleur, etc… Je « m’imposais » une seule limite : ne faire aucune activité « productive », utile… de ma To do list… même pas au niveau de la réflexion. Une vraie ascèse ! C’est simple à l’énoncé, mais ne fut souvent pas simple à vivre pour moi.
Le plus compliqué se situait souvent avant la date programmée. Bien que j’eusse déjà expérimenté maintes fois le bien que cela me procurait, j’avais très souvent comme une résistance en moi, assortie de bonnes raisons diverses de renoncer à mon arrêt. Les 2 principales étaient :
- J’ai beaucoup trop de travail, c’est inconscient de prendre ce temps, je vais juste aggraver ma situation.
- Je ne me sens pas en état intérieur de prendre ce temps, je vais devenir fou ou déprimé.
Il s’agit de ce que Joseph Campbell, le père du « Voyage du héros « , appelle les « gardiens du seuil » [1]. Une métaphore pour symboliser tous les éléments qui nous empêchent de réaliser quelque chose de significatif pour nous et notre évolution. Ils n’ont pas l’intention de nous nuire, seulement de mettre notre désir et notre volonté à l’épreuve : Veux-tu vraiment prendre ce temps pour toi ?
J’ai pu constater, sans exception, que je rentrais de cette journée :
- Avec des idées beaucoup plus claires
- Souvent des intuitions nouvelles
- Une énergie renouvelée et renouvelable…
- Contrairement aux pensées logiques qui m’assaillaient souvent avant, cette « journée perdue » m’a toujours fait gagner beaucoup de temps
- Je me sentais plus en paix, en joie et capable d’accueillir, d’écouter les autres… notamment mes enfants qui ne s’y trompaient pas…
Plus d’une fois, Paolo, notre fils qui avait alors entre 5 et 7 ans, m’a dit : « Papa, il est temps que tu ailles dans ta cabane ! » La vérité sort de la bouche des enfants…
Il n’est bien évidemment pas nécessaire de prendre un jour entier pour récolter ces fruits ; par contre, la régularité de nos Golden-pauses est nécessaire.
Arrête
Eugène Guillevic, poète français
Repose-toi
Nourris-toi du ciel
Autant qu’il te le demande
2. La force du vide dans notre cerveau [2]
Vous avez deux projets à rendre et trois réunions à assurer, mais tant pis : vous décidez de prendre une après-midi de libre. Vous ne croyez pas si bien faire. Votre cerveau vous remerciera. Vous avez libéré en lui des potentialités inexploitées.
Croulant sous les occupations, nous pensons que tout « décrochage » est une perte de temps. C’est une erreur. Lorsque nous sommes inactifs, notre cerveau ne l’est pas. Le cerveau ne se repose jamais, pas même la nuit quand nous dormons, car il ne possède pas de fonction pause. Quand nous échappons à la pression, un réseau neuronal particulier s’active, que les neuroscientifiques ont baptisé le « réseau du mode par défaut ». Il réunit les fragments de notre passé et construit l’avenir. C’est alors que nous produisons nos meilleures intuitions… Il s’occupe simplement de l’essentiel.
La fonction du « réseau du mode par défaut », qui s’éteint dès qu’une tâche précise lui est proposée, n’est pas de ne rien faire, mais plutôt de laisser les pensées aller et venir. On parle parfois du vagabondage mental ou de la rêverie éveillée et, dans le jargon scientifique, de pensée indépendante des stimuli (PIS). Les chercheurs ont montré combien ces moments de déconnexion, loin d’être une perte de temps ou inutiles, sont précieux :
- Nous y accordons notre soi aux exigences du monde extérieur.
- Ils sont le socle de la créativité, de la pensée divergente, de la production d’idées originales et nouvelles… de l’innovation.
Ce qui détermine en grande partie la résolution d’un problème, est le processus dit d’incubation. Nous avons besoin de parenthèses d’inaction pour passer à la phase d’incubation… Pour risquer un regard au-delà de notre horizon habituel, plutôt que de meubler l’ennui, apprenons à l’apprivoiser. C’est souvent lui qui nous donne des pensées et désirs nouveaux.
Nous devrions donc nous poser la question, avant de nous plaindre d’être toujours sous pression : « Sommes-nous prêts à accepter les moments de lâcher prise ?«
Aujourd’hui, je n’ai rien fait
Roberto Juarroz, poète argentin
Mais beaucoup de choses se sont faites en moi
3. Notre « muscle de l’effort »
Dans leur livre, « Le pouvoir de la volonté », le journaliste John Tierney et le psychologue social Roy F. Baumeister explorent le phénomène psychologique qu’est la volonté.
Comment agit la volonté ? C’est un « muscle » qui se fatigue quand on l’utilise, et donc chaque fois que nous faisons un effort. La quantité de volonté dont nous disposons est limitée et se réduit au fur à mesure que nous l’utilisons. Nous puisons dans le même stock de volonté, le même « muscle de l’effort », pour effectuer toutes sortes de tâches.
Baumeister distingue les usages de la volonté en 4 grandes catégories :
- Les combats perdus d’avance.
- La régulation de l’affect (contrôle émotionnel) : réprimer ses pulsions, ses pensées et ses sentiments épuise. La fatigue mentale se combat, mais pas indéfiniment.
- Le contrôle des impulsions, notre capacité à résister aux tentations (alcool, tabac, gâteaux, sexe…).
- Le contrôle de la performance, l’énergie que nous devons mettre en place pour accomplir une tâche.
Affronter la mauvaise humeur de son supérieur hiérarchique, de son/sa conjoint·e, de ses proches ou de soi-même, travailler efficacement, prendre des décisions, résister aux frites de la cantine, faire du sport après le travail, etc., épuisent la même réserve d’énergie.
Diverses études ont démontré que la résistance des sujets expérimentaux décline à mesure qu’ils font des efforts. La régulation de nos affects, le contrôle de nos impulsions, de notre performance et faire des choix, même anodins, devient alors de plus en plus difficile… Dès lors, on privilégie les choix les plus faciles et les moins risqués, comme p.ex. se plonger dans une série, en s’en tenant souvent au statu quo. Nous sommes alors sous contrôle de notre « pilote automatique low energy », qui ne nous mène généralement pas là où nous désirions.
Ce n’est pas un symptôme en particulier qui permet de déceler que le cerveau a épuisé sa batterie de l’effort, mais plutôt une modification générale de l’humeur, de sorte que les perceptions et réactions sont accrues.
Pour préserver notre liberté intérieure, notre clairvoyance, nos relations, notre congruence avec nos valeurs, notre capacité d’innover, il est donc nécessaire d’être attentif à notre muscle de l’effort et de savoir nous arrêter.
Une autre bonne raison de relâcher la pression et de cultiver les pauses…
Voilà 3 bonnes raisons pour adopter les golden-pauses !
Des arrêts réguliers qui nous font gagner beaucoup de temps, de clarté, de justesse relationnelle…
Dans ces moments-là, notre cerveau active le « réseau du mode par défaut ». Loin de ne rien faire, il laisse les pensées aller et venir, il s’occupe simplement de l’essentiel ; il nous aide à résoudre nos problèmes et à ouvrir de nouveaux horizons.
Ces golden-pauses permettent aussi à notre muscle de l’effort de ne pas s’épuiser. Il peut devenir un bon allié : y être attentif nous donne le signal précieux qu’il est temps de s’arrêter.
En conclusion
Relâcher la pression, oser s’arrêter…
Ne s’agit-il pas là d’un des principaux défis de notre société actuelle ?
À notre niveau personnel, cela nous évitera bien des lourdeurs, voire peut-être un burnout, de plus en plus répandu… et développera tous les avantages que je viens de résumer.
Au niveau sociétal, ralentir est un impératif, comme nous y invitent Jason Hickel, dans son livre « Less is more » et Timothée Parrique, dans son livre « Ralentir ou périr « .
Pierre en parlait aussi dans son article du mois passé, « Oui ou non à la décroissance ?«
La Golden-pause n’est-elle pas une piste concrète où nous pouvons personnellement agir dès demain ?
Osons sortir du « juste après ça », « je n’ai vraiment pas le choix », « tant pis pour aujourd’hui », « demain, c’est sûr »… Comme si, après nous serons disponibles…
Osons prendre notre agenda et planifier une golden-pause, en nous souvenant que ce qui commence est rarement spectaculaire !
Lorsque nous osons croire que ce que nous espérons est possible, nous osons agir.
Je suis chez moi.
Thich Nhat Hanh
Je suis arrivé.
Je suis ici,
et maintenant.
Bien solide,
vraiment libre.
L’unique trésor, c’est la vie, telle quelle !
Vous sentez-vous surchargés, souvent « le nez dans le guidon », trop de responsabilités, de réunions, de résultats à atteindre, de projets différents… ? Avez-vous besoin de souffler ?
Si vous désirez vous offrir une Golden Pause pour recevoir et expérimenter différentes pistes concrètes,
j’ai développé pour vous une session « Tremplin vers une autre dimension du temps » pour prendre soin de vous.
Venez vivre un temps de recul, de recharge, de reconnexion, de repos…
Un « échange-créateur » avec d’autres personnes qui vivent cette même course…
Une immersion dans la nature, dans un lieu inspirant…
Un autre rythme pendant 2 jours !
Vous expérimenterez comment gagner de la clarté, de l’efficacité, de la créativité… et du temps !
Intéressé·e d’en savoir plus
Notes :
[1] Le héros aux mille et un visages, Joseph Campbell, 10/2023, éd. J’ai lu.
[2] Inspiré de l’article dans la revue « Cerveau & psycho », n° 84, janvier 2017, p 52-57
[3] Less is more, Jason Hickel, 02/2021, éd. Veltman Distributie Import Books
[4] Ralentir ou périr, Timothée Parrique, 9/2022, éd. Seuil
Photos : Pixabay et Benoît Thiran
POUR APPROFONDIR
L’article de Pierre : « Oui ou non à la décroissance ? » et mes articles sur le Travail Qui Relie (TQR)
« Comment faire pour participer à la guérison de notre monde » et
« Choisir un monde qui soutient la vie »,
Vous trouverez sur https://www.m-h-d.be/sept-cles-de-la-transition
- Une présentation des 7 clés de la transition et un schéma résumé
- L’accès à tous les articles que j’ai déjà publiés sur le sujet
- La possibilité de télécharger gratuitement un E-book… une mise en bouche !
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